« Sur le chemin, entre voie et voix (Préface du catalogue raisonné 2000/2015)
Roger Contreras répète et reproduit le même signe, la même figure tirée d’empreintes de pneus de tractopelle. Ces pneus qui écrasent la terre rouge des mines de bauxite maintenant abandonnées de son enfance. Dans ces lieux le temps est comme suspendu, et au cœur de cette terre ocre rouge, momifiée dans la trace, c’est au fond, l’image du père mineur; la sienne aussi.
Voici ce que dit l’artiste en 2001 lors d’une exposition à Caissargues (Gard) intitulée: « Les terres rouges ou la mémoire. »
« Ce sont des émotions primaires, la couleur, les formes, les odeurs, cette terre de bauxite rouge…
Ce rouge c’est la force du père, le travail, la vie, la mort….
Le silence a ici la couleur rouge.»
Les ingrédients sont là, tous réunis au cœur de cette mine paternelle chargée d’histoire : « trace, terre rouge, crevasses, boue, sable, métaux … » Reste à lui maintenant de trouver le chemin et les moyens plastiques pour exprimer ses « émotions primaires ». Pour cela, après une formation artistique continue, il décide de rompre définitivement avec les règles et le langage de la peinture moderne. Il faut aller vers un autre mode d’expression, plus ouvert, moins contraint par rapport à la toile. Une nouvelle écriture en somme, plus adaptée au thème, où cette répétition du geste et de l’empreinte puisse se développer à la fois corporellement et physiquement.
Cette expression liée au mouvement perpétuel alliant geste et matériau, Roger Contreras la trouvera dans un langage post moderne dans les années 98/99, puis résolument contemporain dans les années 2012/2015. Il se sentira plus à l’aise pour exprimer ses figures en recourant à des matériaux aux premiers abords improbables arrachés au site de son enfance. Il utilisera cette terre paternelle, ces traces, ces empreintes tirées de cette terre de bauxite.
Pendant des années il a exercé la profession de conducteur de train. Ce « roulant » a naturellement changé de voie pour une autre voix, intérieure celle-ci, sourde et discrète, encore non révélée et qu’il va développer.
C’est un artiste tardif, qui n’a pas de temps à perdre avec les protocoles et batailles de chapelles artistiques. Il va simplement à l’essentiel en utilisant le langage de son époque comme moyen opérant pour lui, adapté à ses propres besoins et exigences.
Ce qui caractérise sa démarche, c’est la manière dont il « estampillera » en quelque sorte la trace jusqu’à en faire un pictogramme, dont toute son œuvre découlera sous des formes multiples et infinies, allant de l’acte créatif jusqu’au devenir du sens.
Ce pictogramme, cette « icône » c’est le pneu et son empreinte dans la boue ! Roger Contreras arrivera à faire de cet objet, culte de notre civilisation moderne et contemporaine, un « Reidy Made » revisité qui deviendra la base rituelle de son parcours créatif décliné à l’infini.
Répétitions de traces, écritures graphiques improbables et multiples, allant du moulage d’empreintes brutes aux ciselures raffinées d’un bijou ou d’une gravure. C’est cette même empreinte, incrustée par un graphisme au stylo Bic, qu’il tente et arrive à faire cohabiter avec la puissance gestuelle d’une trace noire à l’encre de Chine sur papier.
Chez Contreras à l’évidence, toute son œuvre est basée sur le rythme et la répétition de ce signe « ordinaire » devenant soit totems ou bornes romaines « ad octavum lapidem » ou encore traces moulées, dentelles ou déchirures assemblées.
Certes, il expose ses œuvres en galeries, mais il aime aussi les mettre en situations de land art, en pleine nature ou au cœur de la cité quand le public emprunte tout naturellement ses propres traces pour traverser la rue afin de rejoindre les deux lieux d’expositions (Temple de Foissac ,Gard)
Sa résonnance subjective se situe continuellement dans un jeu plastique d’une écriture contemporaine identifiée et singulière, extraite de sa propre histoire d’homme et d’artiste.
« De l’écoute de lui-même au sens »
« Je ne cherche pas, je trouve » disait Picasso.
Jusqu’à présent Roger Contreras a su être à l’écoute de lui-même jusqu’à « trouver » sans véritablement avoir « cherché » le fil conducteur de son travail. N’est-ce pas là une forme ontologique du discernement intuitif de l’être en perpétuelle évolution ?
Pour ce qui est de la question du sens, c’est dans les notes de Claude Viallat qu’il trouvera lui-même la réponse :
« Ne pas privilégier de matériaux précis, assujettir l’image au travail… ouvrir le résultat au sens. »
Persuadé qu’après ses prochaines périodes de doute, voire de mise à plat de son parcours créatif ; fort de son expérience s’ensuivront j’en suis certain, d’autres phases, tout aussi riches, tout aussi créatives…
Jean-Marc Scotti